Dans nos rangs, point de
traître.- un souhait, une menace?
Le président Michel Martelly a sorti un
discours lundi soir pour essayer de faire
passer la pilule du Conseil électoral permanent. Pour défendre cette institution
légale et constitutionnelle, le président a conclu son adresse à la
nation par un très inédit « Pour le pays pour les ancêtres, marchons unis,
bêchons joyeux. Dans nos rangs, point de
traître». Un mélange détonant.
Dit ainsi d’un trait, ce couplet n’existe pas dans
la
Dessalinienne, notre hymne national. Dans la
tempête, on s’attache au premier fil, quelque fin qu’il soit. Voilà un
président empêtré dans une crise
construite par lui seul.
Michel Martelly est en train de
payer le prix de
l’inaction de
ses premiers mois au pouvoir lorsqu’il pensait
pouvoir se passer du Parlement et d’une entente avec les forces politiques, dont
le président René Préval encore capable à
l’époque d’avoir en main la coalition Inite qui venait de
perdre la présidentielle, mais qui contrôlait,
avec une majorité relative, les deux
Chambres.
L’option Préval, arbitre de
réserve, n'a pas fait long feu. Même les alliés
naturels de la
communauté internationale ou de la
société civile ne paraissaient pas avoir assez de
poids aux yeux du président
fraîchement élu.
Le Martelly des
premiers mois a cru que sa popularité de
président élu, les pouvoirs conférés
par son titre, mixés à une forte dose de
communication et de
volontarisme, lui suffisaient pour imposer sa
marque.
C’était sans compter avec la Constitution et une brochette d’élus qui
ont déjà tout vu au cours de leur
carrière.
Vite, Martelly et ses amis n'ont pas fait le poids et ont dû, après
l’échec devant le
Parlement de deux
candidats au poste de Premier
ministre et la grande bataille
perdue contre le député Arnel Belizaire, arbitrairement et illégalement
emprisonné, composer avec les parlementaires.
Dans le même temps, pensant qu’il pouvait imposer le
retour des Forces
Armées d’Haïti et une façon de gérer
qui ne cadrait pas avec la place d’Haïti sur l’échiquier géopolitique, le
président du 14 mai 2010 s'est mis à
dos une partie de la
communauté internationale qui l’a entraîné, comme un boxeur maladroit, dans les
cordes d’un ring dont il ignorait la
superficie. Au gong, acculé, Martelly a accepté les
conditions des acteurs
majeurs de la scène
politique que sont les amis d’Haïti. Cela lui a permis de
souffler et enfin d'installer son Premier ministre
après la sortie tumultueuse de Gary
Conille.
Avant de
reprendre la main, le président a
dû souscrire aux conditions de ses
nouveaux meilleurs amis, des
parlementaires madrés et des
diplomates sans états d’âme.
C’est au cours des
fiançailles que le président a agréé,
après des mois
et des
mois de
tergiversations, de
publier la version amendée de
la Constitution de
1987 qu’il n’avait jamais soutenue.
Entre-temps, le mandat de ses
nouveaux alliés au Sénat a pris fin.
Depuis, c’est le calvaire.
Martelly et son Premier ministre n’arrivent pas à faire du Parlement un ami, ni
un allié. Même en y mettant le prix, tout coince.
Dernier exemple en date, le
budget du prochain exercice. La Chambre
des députés l’a modifié dans
des termes que le gouvernement ne peut accepter sans
perdre la face devant ses
bailleurs.
La constitution du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, puis du
Conseil électoral permanent ont été, -sont-
deux autres épisodes à suspense. Entre
lutte de pouvoir,
guerre de
territoire, ambition galopante et petites
méchancetés, ces deux
institutions fondatrices de
l’Etat de
droit nouveau sont en passe de
se discréditer.
Les hommes aux manoeuvres, tout au moins.
C’est donc en ce sens qu’il faut lire le discours du président
Michel Martelly de ce lundi
20 août qui appelle à l’histoire : « Le 21 août est une date
importante de
l'histoire nationale. Elle marque le soulèvement
général des
esclaves qui a conduit à l'indépendance nationale. C'est donc une date rupture.
Ce 21 août 2012, soit 221 ans après, nous posons un acte fondateur dans la
construction d'un État de droit
démocratique. En effet, après seize versions provisoires du Conseil électoral,
en dépit des
prescriptions de la
Constitution, créant un Conseil électoral permanent, nous sommes donc au
carrefour de
l'histoire, à une date rupture qui se situe dans
notre tradition de
grandeur, à la recherche du bonheur
pour notre peuple», a dit le président Martelly.
Pour bien marquer le péril évité à la nation, le président
confesse qu’il a été, lui aussi, tenté de
violer la Constitution toute neuve : « Il faut dire
que j'ai été, à plusieurs reprises, tenté d'imiter mes prédécesseurs en formant
un 17e Conseil électoral provisoire ou, comme le proposent certains, un Conseil
électoral spécial, de
consensus, d'exception, de
transition, voire un Conseil électoral ultime. Or,
ces choix de
continuité dans la violation de
la Constitution traduiraient un recul inacceptable,
préjudiciable à cet État de droit.
J'ai donc opté pour la solution constitutionnelle, au
regard de
l'article 136 de
notre Charte fondamentale qui
fait de moi le
garant des
institutions démocratiques», a poursuivi le chef de
l’Etat, avant de
conclure son discours par un «Dans nos rangs,
point de
traître».
En Haïti, quand nos ancêtres et la dénonciation
des traîtres trouvent une place dans une affaire
haïtiano-haïtienne, les dérapages sont à craindre.
Frantz Duval
Le Nouvelliste
Le Nouvelliste
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